Le plaisir malgré tout


Edito

Ecrit par Pascal Béria

Le plaisir est une aspiration. A la manière de la peur, déjà abordée aux Napoleons, le plaisir est un état de conscience transitoire qui sert à nous maintenir en vie. Mais si la peur est avant tout un mécanisme de défense, le plaisir, lui, table plutôt sur le registre de la volupté. Le plaisir est un aveu de faiblesse, de tentation. « L’enfer où tu seras, c’est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu ! » criait Frollo à la belle Esmeralda avant de se maudire lui-même. Le plaisir est suspect, porteur du péché originel au même titre qu’à peu près tous les péchés capitaux. Faiblesse des corps et de l’esprit, moteur de nos individualismes. Se faire plaisir, ok. Mais pas n’importe comment. 

Par conséquent, la question se pose. Est-il raisonnable de parler de plaisir en période de crise sanitaire où l’on compte nos morts ? Pouvons-nous aborder sereinement la gaudriole à une époque de repli communautaire et de dégradation des écosystèmes ? Est-il moral de regarder ailleurs alors que la maison brule ?  

Aux Napoleons, il nous semble qu’il n’a jamais été aussi important de rappeler les vertus du plaisir. D’abord, et surtout, parce qu’y renoncer, ce serait se laisser aller à une auto-censure mortifère à un moment où nous n’en avons pas vraiment besoin. Ensuite parce le plaisir est précisément ce qui nous permet de sortir du caractère purement fonctionnel de nos existences confinées. Sortir de la routine connectée. Retrouver des perspectives. Le plaisir est le moteur de la curiosité. Et par conséquent de l’envie et de l’innovation. Il serait incongru en cette période d’incertitude ? A la bonne heure. « Rien n’est plus nécessaire que le superflu » faisait dire Roberto Benigni à son personnage Guido, déporté en camp de concentration dans « La vie est belle ». Le plaisir est, selon nous, la meilleure manière de regarder « on the bright side of life » comme le chantaient les Monty Python. L’humour. La surprise. L’espoir. L’action. Le plaisir comme dernier recours lorsque tout le reste est sujet à caution.  

Alors évidemment, nous avons tous dans nos inconscients collectifs une vision du plaisir qui est celle de la démesure. Mais l’outrance, la débauche, la profusion sont des luxes hors-sujet à une époque où les conditions minimales de la relation nous sont confisquées. En revanche, nous souhaitons réhabiliter le plaisir avec humilité en tant qu’émotion fondamentale. Celle qui est à notre portée mais que nous avons un peu perdue de vue dans nos sociétés de la commodité où le plaisir se commande sur une application. Revenir aux fondamentaux de ces « plaisirs minuscules », délicats qui sont autant de petits moments impressionnistes d’un temps qui s’étire et des sens qui s’éveillent. Célébrons Proust et sa recherche du temps perdu. 

Il ne faut pas croire qu’une telle acception du plaisir soit moins noble qu’une autre. Qu’une jouissance dandyste le remporterait naturellement sur des plaisirs plus triviaux. Bien au contraire. Revenir aux fondamentaux, c’est aborder le plaisir sous son angle universel. Celui qui nous concerne tous. Comprendre pourquoi la relation sociale, le contact nous est essentiel. Les raisons pour lesquelles ces discussions en terrasse de café nous manquent tellement. Pourquoi les rapports informels, le small talk ou la rencontre à la machine à café sont des moments de plaisir autant que de lien social qui nous sont vitaux. Les raisons physiologiques qui expliquent l’extase ressentie face aux lumières d’un Van-Gogh ou au riff d’une Stratocaster. Pourquoi le plaisir est nécessaire aux apprentissages et comment une société qui condamne le plaisir nous conduit au conditionnement et, in fine, à l’endoctrinement. De quelle manière, également, les conditions du plaisir peuvent évoluer avec le monde des idées. « Vivre sans temps mort, jouir sans entraves » scandaient les slogans de 68 au côté « d’interdit d’interdire » et « mon corps m’appartient ». Une évolution de la moralité qui est à questionner à l’aune de #MeeToo.  

Aux Napoleons, nous avons donc décidé de ne pas renoncer aux plaisirs de célébrer « tous ces petits moments magiques de notre existence » chantés par Souchon et dont nous espérons faire de nouveau partie. Bientôt.  

Le plaisir sera donc le thème de notre session d’Arles du 21 au 24 juillet prochains, que nous espérons être celle d’un retour à la normale. Nous espérons vous y retrouver en pleine forme avec plein de projets en tête. Et partager le plaisir de se retrouver…