Réparer pour ne pas subir !


Edito

Ecrit par Pascal Béria

De sommet en sommet, de témoignages en événements, d’émancipation en radicalité, les Napoleons sont donc résolument entrés dans le registre de l’action. Un prolongement naturel de tout ce que nous avons envisagé jusqu’à présent. Ce chemin tracé a révélé combien il est difficile d’initier un changement tant les combats sont nombreux et s’exercent dans un système faussé par des mécanismes parfois biaisés.

Nous sommes arrivés à un constat : il nous semble plus efficace, lorsqu’un mécanisme ne tourne plus très rond, de chercher la source de ce problème. Intervenir sur les causes plutôt que sur les conséquences. Réparer le moteur plutôt que subir les conséquences de ses dysfonctionnements. Cette logique n’est pourtant pas toujours celle prise dans nos sociétés. Une raison suffisante pour attiser notre intérêt. « Réparer » est donc le thème que nous avons choisi d’explorer lors de notre prochain sommet estival. Intervenir à l’origine des maux. Là et où l’action individuelle a encore une efficacité et où il est encore possible de changer les trajectoires.

Réparer a évidemment quelque chose de moins grandiloquent que l’appel à la disruption qui ambitionne de changer le monde en mieux, mais présente l’avantage d’un plus grand réalisme qui nous semble désormais prioritaire. 

Il ne s’agit plus ici d’augmenter ni de perfectionner, mais plus modestement de remettre « dans l’état tel que celui trouvé en arrivant ». Dans les faits, réparer cherche à reconstruire sans dénaturer, pour ne pas avoir à subir.

D’un point de vue anthropologique, réparer interroge notre vulnérabilité et l’imperfection de notre condition humaine. Chercher à réparer, c’est déjà avouer ses faiblesses, reconnaître qu’on peut s’être trompé. Ce qui impose une dose d’humilité et de courage qui ne sont pas les qualités humaines les plus courantes, mais qui sont nécessaires avant de chercher à reconstruire.

Réparer ses erreurs, réparer les consciences. 

Réparer, c’est d’abord, de manière littérale, « remettre en état de marche ». Ça concerne autant une machine qu’un corps humain. Réparer c’est soigner, greffer, guérir. Permettre à un corps altéré de retrouver ses fonctionnalités, de vivre « normalement ». Une action au carrefour de la connaissance et de la technique, de l’humain et de la technologie, de l’éthique et du processus. Avec toujours le risque scientiste de chercher à transcender nos capacités, à améliorer et rendre plus performant. C’est aussi, pour ce qui concerne la technologie, être en mesure d’ajuster les biais, les erreurs de conception. Une question cruciale à l’heure de l’IA reine.

Réparer les corps, réparer les vivants, réparer les biais.

Réparer est ensuite une perspective nourrie d’espérance. Si c’est réparable, c’est qu’il y a de l’espoir. Or, l’espoir est un moteur puissant de socialisation et de cohésion. 81% des Français ont d’ailleurs une bonne image de la réparation (Ademe). Devant la réalité abrupte des limites planétaires, réparer peut s’imposer comme un projet de société enviable. Il s’agit par conséquent de réapprendre à faire avec ce que l’on a, s’ouvrir à la maintenance, à l’économie circulaire, au reconditionnement plutôt que penser production et déchet.

Réparer c’est aussi combattre le gaspillage, l’obsolescence programmée, le déterminisme fabriqué qui nous pousse à remplacer plutôt que réutiliser. Le durable est réparable par essence. Pas facile au regard des sollicitations permanentes à consommer. Une lutte qui s’organise autour des ateliers de réparation associatifs, des repair cafés ou des clubs de couture qui fleurissent dans nos villes et nos campagnes. La « réparation » devient désirable et prend l’époque à contre pieds.

Réparer nos biens de consommation, réparer notre rapport au monde, réparer l’économie. 

Réparer, c’est donc chercher à reprendre la main sur un monde qui nous échappe, réhabiliter le geste, se « réencapaciter ». Une prédisposition tout entière contenue dans l’éthique de l’hacking. C’est, pour certains produits de consommation, une faculté qui se mesure par un « indice de réparabilité ». C’est, plus largement, les mouvements qui cherchent à quitter les plateformes numériques et redonner la main sur des systèmes d’information ou de production. Pas toujours évident à une époque où la recherche de simplicité nous démunie souvent de cette capacité à comprendre la machine qui nous régit. Réparer, c’est en définitive consommer en mieux. Il n’y a donc pas eu long à attendre pour que la réparation devienne un marché.
De Veja à Patagonia en passant par Vuitton ou Fairphone, la réparation devient (aussi) un argument de vente.

Réparer le numérique, réparer notre modèle de consommation, réparer les médias.

Réparer, c’est aussi choisir. On ne cherche à réparer que ce à quoi on tient, que l’on cherche
à faire durer, voire à transmettre. Cela ne concerne que ce qui nous semble précieux, à des kilomètres des sphères de la fast fashion. « Le luxe, c’est ce qui se répare » annonçait Robert Dumas qui dirigea durant 30 ans la maison Hermès. Réparer, c’est retrouver le lien rompu avec l’objet. Quiconque cherche à réparer convoque dans le même temps la considération. D’une certaine manière, réparer c’est aussi prendre soin : que ce soit de l’Autre, de la planète
ou de sa paire de chaussure.

Réparer les liens sociaux, réparer notre rapport à l’objet.

Réparer doit aussi prendre en compte l’altération contre laquelle elle ne peut pas s’opposer. Celle des biens matériels ou de nos environnements, bien entendu. Mais aussi des relations. Réparer c’est chercher à remettre en fonctionnement un « système », un « ordre du monde » en prenant en compte ses transformations, naturelle ou non. Faire en sorte que, coûte que coûte, le dialogue perdure. Réparer, ce n’est pas refaire à l’identique, mais faire avec l’expérience. Apprendre de ses erreurs.

Une mécanique qui n’a pas toujours fonctionné lors des conflits modernes, peut-être
en raison d’un système diplomatique qui n’a pas su s’adapter aux changements rapides des (dés)équilibres mondiaux. Une mécanique aussi à prendre en compte dans le dérèglement
d’un système économique mondialisé fondé sur le socle biaisé du « no limit ».
Une mécanique en marche, enfin, dans la fracture sociale et idéologique qui s’installe entre
les « clans », les générations, exacerbée par les médias numériques et qui pousse à l’archipelisation de la société.

Réparer la diplomatie, réparer l’économie, réparer l’ordre du monde, réparer la fracture générationnelle

Mais réparer pose aussi ses propres limites. Car il est parfois difficile de réparer quand il s’agit par exemple de pardonner. Peut-on réparer les horreurs d’une guerre ? Réparer les dégâts matériels est-il suffisant ? Comment réparer les violences faites à autrui ? Et à quelles conditions est-il possible de réparer les relations entre deux êtres, deux populations,
deux nations ? « Réparer l’irréparable » pose des questions au carrefour de la justice,
de la diplomatie ou de l’éthique.

Réparer l’histoire, réparer les relations, réparer les consciences, réparer les corps.

Réparer se heurte aussi aux limites économiques. Car réparer peut coûter cher. Toujours trop pour ceux qui le finance. Pas assez pour ceux qui voient à plus long terme et préviennent que réparer aujourd’hui coûtera toujours moins cher que subir demain. C’est le combat de l’humanitaire et du social face à l’économique et au marché. C’est aussi un sujet de souveraineté nationale après un cataclysme, à l’heure où il faut reconstruire une ville, un pays, une dignité. Réparer est une question d’arbitrage et donc de politique.

Réparer la santé, réparer l’école, réparer les écosystèmes, réparer l’assurance.

Et puis, malgré tout, il est parfois nécessaire de reconnaître que certaines choses ne peuvent plus être réparées. Que fait-on alors de quelque chose qui n’est pas réparable ?
À la manière d’une épave que l’on coule par le fond, il faut alors trouver des solutions pour jeter sans impacter et essayant de ne pas tomber dans la résignation. Et apprendre de nos erreurs. On touche alors aux questions cruciales de recyclage, d’adaptation ou d’entreposage pour les générations futures. Avec des différences de taille, puisqu’on ne jette pas un smartphone comme un porte-avion nucléaire ou un modèle de société.

Réparer jusqu’où ? Réparer dans l’économie circulaire, réparer le capitalisme.

Réparer, c’est donc tout cela en même temps. Simple dans son acception et complexe dans la manière d’y remédier, comme souvent avec les thématiques des Napoleons. Cela implique non seulement que quelque chose soit détérioré, mais aussi que nous en prenions conscience pour y remédier et ne pas avoir à en subir les conséquences. C’est un apprentissage dont nous souhaitons vous donner à la fois les outils et le mode d’emploi lors de notre prochain sommet.